Petite immersion au cœur de l’armée suisse (2)

 L’intimité : cette part de soi après laquelle on court

Jérémie Koch


J’aimerais poursuivre le parcours entamé la semaine dernière avec la réflexion qui clôturait ce premier article ; à savoir que la communauté prime sur l’individu. Comme tu as pu le voir, la transgression d’une règle par ce dernier a des conséquences sur tout le reste de ses camarades. Mais les sanctions tombent en des circonstances bien précises et ne sont qu’un exemple pour mettre en lumière l’aspect communautaire si cher au monde militaire. Il s’agit maintenant d’en rendre compte au quotidien : qu’est-ce que le « vivre ensemble » à l’armée ? 

    Pour le comprendre, il faut le considérer dans la vie « civile ». En société, nous jonglons avec habileté entre différents rôles et souvent inconsciemment. A l’université, lors d’un stage professionnel ou face à la personne qui sans trop savoir pourquoi nous fait rougir puis bégayer, revient l’instinct de montrer la plus belle image de soi, agréable et convenable. On aime maîtriser; mais souvent faussement, car ce qui nous constitue finit par ressortir en un univers qui est toujours le même : celui de l’intimité. C’est là que tout sonne magnifiquement vrai : pleurer seul-e, passer des soirées à rire avec ses potes, s’énerver contre ses parents. Les émotions véritables traduisent une passion, un élan incontrôlé qui raccommode avec ce que l’on est.  

L’intimité est un exutoire et une fenêtre de respiration tellement essentielle dans nos vies qu’on ne saurait s’en passer. D’ailleurs, l’absence de cette dernière n’est jamais vraiment appréhendée ; la maison n’est jamais bien loin et une petite balade de nuit en écoutant de la musique (quel kiff !) est toujours possible. Pour le dire autrement, la vie « civile » ne nous enlève que très momentanément ce besoin. 

    C’est maintenant que le rapprochement est à faire avec l’armée, car pour le dire clairement, sous les drapeaux, il faut oublier son intimité : tout est partagé et fait en commun. Prenons le cas de la fin de journée, moment fatidique souvent sujet à la fatigue et à la mauvaise humeur : après une instruction donnée sous un soleil de plomb sur le maniement du fusil d’assaut, la troupe, transpirante à souhait et avec un paquetage de 30kg sur le dos, finit par se mettre en route direction la caserne. Il est 18h40. 

18h50 : Le trajet a duré 10 minutes. Notre lieutenant annonce que l’on mange à 19h00.

On a 5 minutes pour aller déposer le fusil et ranger le sac en chambre. Retour sur la place à 18h55. Trois artistes arrivent à 18h56, sentence : tous au réfectoire en courant : eh oui, il faut bien rattraper le retard accumulé. On arrive en nage. Pendant ce temps, une autre section (composée entre 20 et 40 soldats, c’est assez aléatoire) fait déjà la queue pour aller manger. Notre lieutenant annonce qu’à 19h45, tout le monde a rendez-vous pour nettoyer les chaussures avec le kit prévu à cet effet. 19h45 cela veut dire 19h40 (il faut retrancher 5 minutes à toutes les heures de rdv). On est servi à 19h25. Oh cool ! Dix minutes nous sont offertes pour gober notre cuisse de poulet. On file en chambre chercher la graisse et la brosse puis, munis de nos chaussures, on se rend dans les stands ; cette fois tout le monde est là. Le nettoyage commence, on s’arrête. C’est le moment de faire des pompes. Pourquoi ? Je ne sais pas vraiment. Le nettoyage reprend. Il est 20h30. Consolation ? Tes chaussures sont magnifiques. « Allez les poser, rendez-vous à 20h40 dans la salle pour la théorie ». 

    Je crois que l’ambiance est palpable. Le stress, les ordres et le risque de faire peser des sanctions sur les autres, c’est cela le quotidien des premiers mois d’armée. Il n’y aucun moment pour soi, si ce n’est les toilettes, quand même ! On se couche à 23h pour se réveiller à 5h30 et entamer une nouvelle journée rythmée par les impératifs. Le corps reste éveillé et ne se relâche que le week-end venu, moment de calme et de retrouvaille avec le confort des draps. Mais pas seulement, c’est surtout un retour à ceux et celles que l’on aime et à ce que l’on apprécie faire. Tout cet environnement proche qui constitue notre identité prend alors une grande importance ; mis dans un environnement qui nous prive du confort habituel, on prend conscience qu’une maison chauffée, que l’on peut quitter et regagner n’importe quand, sans qu’on nous en donne l’ordre, plutôt calme et munie d’un frigo rempli : c’est une chance.

Alors, dans un monde militaire où rien ne se vit seul, que faire en attendant le week-end ? Qu’est-ce que vivre plus d’un mois en caserne à cause d’un foutu virus ? C’est simple, tout se partage. J’aborderai dans le prochain épisode ce qui constitue le cœur du quotidien : les autres. Cette bande de potes qui vit ses bonheurs, ses peines, ses colères et qui finit par créer un cercle intime , une deuxième famille. Cette part brute de chacun qui rend les relations si belles et tellement humaines. Sois au rendez-vous la semaine prochaine ! 

Et comme promis histoire de rire un peu, je te laisse le lien pour aller faire connaissance avec le lieutenant-colonel Karl-Heinz-Inäbnit, alias Vincent Kucholl de l’émission 26 minutes diffusée sur la RTS: https://www.youtube.com/watch?v=V-e0asugMnI

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