Le bien-être, une industrie florissante

Dani Dernari

Yoga, jus détox, skincare, applis de méditation ou influenceur·euse « wellness » : tout est à portée de main pour aller mieux. Explorons l’envers du décor du bien-être grâce aux travaux de l’autrice et militante féministe Camille Teste.

Photo générée grâce à l’IA.

 Ton sommeil est perturbé ? Tu es stressé·e de façon chronique ? Tu as des douleurs et tu manques d’énergie ? Ne t’en fais pas, l’industrie du bien-être a la réponse. Ou plutôt des milliers de réponses. Gummies vitaminées contre la fatigue, livres de développement personnel ou retraites spirituelles, les solutions proposées touchent à des secteurs variés : la nutrition, le fitness, la santé mentale, la cosmétique…ce marché mondial en pleine expansion ne cesse de croître chaque année. 

En effet, selon le Global Wellness Institute, cette économie pesait 6,3 billions de dollars en 2023, un sommet historique atteint. Cette croissance fulgurante repose sur une idée simple : “si tu vas mal, c’est de ta faute”. Ainsi, tu as le pouvoir d’aller mieux car le bonheur est juste là. C’est une expérience à consommer. Le bien-être ne dépendrait de rien d’autre que de nos choix et de la qualité de ces derniers. Ce serait un enjeu purement personnel.

Repolitiser le bien-être avec Camille Teste

Mais si de nos jours le bien-être se vend en kits, une question se pose dès lors : Pourquoi allons-nous de plus en plus mal ? Le Mental State of the world Report 2024, publié par Sapien Labs, démontre des statistiques très inquiétantes en ce qui concerne la santé mentale des jeunes adultes. En effet, ceux-ci sont toujours moins bien dans leurs peaux que les générations précédentes et les 18-24 ans sont particulièrement touché·es, pour cause: isolement social, omniprésence du numérique, incertitude professionnelle…mais ces derniers sont pourtant les principales cibles de l’industrie du bien-être. 

Pour l’autrice et militante féministe Camille Teste, cette contradiction n’est pas le fruit du hasard. Effectivement, celle-ci explique dans son essai Politiser le bien-être publié en 2023 que cette situation découle de la reprise du bien-être par le néo-libéralisme. Cette doctrine politique imprègne le bien-être d’une logique productiviste et fait reposer la responsabilité d’aller bien sur l’individu: il faut faire en sorte d’être toujours et encore plus accompli. C’est l’auto-optimisation.

Photo libre de droits.

Ce mode de réflexion favorise deux systèmes: le capitalisme et le système politique. En effet, si l’on croit que la clé du bien-être réside uniquement en nous, cela en revient à invisibiliser les structures sociales et les conditions extrinsèques à nous-même, déterminant notre capacité à aller bien ou non. Stabilité financière, sécurité de logement, temps libre, accès aux soins: le bien-être est bien un reflet de rapports de pouvoirs impliquant classes sociales, races, genre ou invalidité. 

Néanmoins, lorsque prendre soin de soi devient un devoir individuel, les responsabilités collectives sont invisibilisées. Le rôle de l’État, des institutions ou même des entreprises sont complètement mis à l’écart. L’ordre établi n’est donc jamais remis en question. Si l’on pense que payer un cours de yoga nous fera nous sentir mieux, on y passera plus de temps qu’à manifester dans les rues pour s’attaquer à la source primaire de notre mal-être. En outre, on participera même à l’économie capitaliste en dépensant notre argent souvent durement gagné, dans toute sorte de solutions nous détournant de la collectivité. 

Développer une résilience collective

En conséquence, selon Camille Teste, cette nouvelle industrie du care profite de notre système qui structurellement génère du mal-être, mais ne répond en réalité pas à un réel besoin. Celle-ci offre des solutions afin de soigner les symptômes de nos maux mais pas sa cause originelle. Mais est-ce que ce self-care fait-il encore beaucoup de sens dans des sociétés où la guerre pourrait être à nos portes, où la crise climatique nous menace tous et où l’on est si mal payé que l’on a du mal à se nourrir ? 

Évidemment, il est fondamental de prendre soin de soi. Comme il l’est de se rappeler que nous ne sommes pas tous égaux face au bien-être. Nous ne contrôlons pas notre position sociale ou même les conditions physiques dans lesquelles nous nous trouvons. Dans un pays dans lequel l’accès à l’eau, à la nourriture ou même à l’éducation est trop inégalitaire, il est incontestable que l’on peut difficilement agir à l’échelle individuelle pour son bien-être. C’est lorsque nous prenons conscience de cela que l’on peut remettre en question des systèmes protégés par ceux qui en bénéficient.

Finalement, le problème ne réside pas dans le fait de prendre des cours de yoga si cela nous apporte du bien-être. Il ne faut, cela dit, pas se laisser détourner de notre activisme. Nous avons besoin de développer une résilience collective plutôt qu’individuelle pour notre intérêt commun. Alors oui, comme Camille Teste l’affirme, le bien-être est profondément politique.

Photo libre de droit.

Sources

Teste, C. (2023). Politiser le bien-être. Binge Audio.​

Newson, J. J., Sukhoi, O., Taylor, J., Topalo, O., & Thiagarajan, T. C. (2025). État de la santé mentale dans le monde en 2024. Sapien Labs. https://mentalstateoftheworld.report/wp-content/uploads/2025/02/Mental-State-of-the-World-2024-FR-Online-Feb-28.pdfsapienlabs.org

Usbek & Rica. (2021, 28 octobre). Eva Illouz : « Le développement personnel, c’est l’idéologie rêvée du néolibéralisme »https://usbeketrica.com/fr/article/eva-illouz-le-developpement-personnel-c-est-l-ideologie-revee-du-neoliberalisme

Global Wellness Institute. (2024). 2024 Global Wellness Economy Monitorhttps://globalwellnessinstitute.org/industry-research/2024-global-wellness-economy-monitor/​Vogue France. (2023, 6 avril). Camille Teste : « Politiser le bien-être »https://www.vogue.fr/article/camille-teste-politiser-le-bien-etre-livre-interview

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